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31 janvier 2015 6 31 /01 /janvier /2015 16:47

Le procédé corse au dix-huitième et dix-neuvième siècle :

Un procédé fossile de l’antique procédé de l’Ile d’Elbe

Le procédé corse de fabrication du fer à partir du minerai de l’île d’Elbe est étudié à partir de quatre publications dont les auteurs : Tronson du Coudray (1775), Focard de château (1798), Muthuon (1808), et Sagey (1828) ont chacun effectivement suivi et décrit la même opération. De l’un à l’autre, les descriptions diffèrent avant tout par leur précision. Aucun d’eux n’apportant de données analytiques sur la composition chimique du minerai utilisé et des produits intermédiaires et finaux obtenus, c’est une analyse du minerai de l’île d’Elbe donnée par la littérature (Mohen 1990, 177) qu’il faut se référer ; le minerai de fer de l’île d’Elbe est très riche en fer : 89.3% de Fe2O3, et la silice non combinée à l’oxyde de fer représente la plus grande de part (8.9%) des éléments scorifiables.

Le minerai brut est d’abord torréfié pour pouvoir être concassé. Le minerai concassé est ensuite soumis à un second grillage très chaud et très réducteur au cours duquel l’oxyde de fer est complètement réduit à l’état de fer métallique. La mine cuite obtenue est composée de fer métallique et de SiO2. Cette mine cuite subit un troisième grillage en présence de scories riches en FeO au cours duquel le fer métallique se sépare du silicate de fer formé. Le fer obtenu est rassemblé en masellos (petite masse), qui sont réchauffés avant forgeage en barres de fer commercial. C’est au cours de ce réchauffage que se forme par oxydation les scories riches en FeO. Si la torréfaction du minerai se fait par les moyens habituels, le second grillage se fait dans un dispositif provisoire très complexe construit de morceaux de charbon de bois et de minerai, et de brasque. Le charbon de bois est brûlé dans un puits vertical à la base duquel est installée la tuyère. La paroi du puits distribue latéralement les gaz de combustion en les répartissant dans des compartiments disposés autour du puits qui contiennent le minerai à griller. Le troisième grillage est effectué dans un dispositif simplifié où la tuyère travaille dans le bassin rempli de charbon de bois sur lequel reposent des gâteaux de minerai cuit qui, échappant à l’action oxydante de la tuyère, descendent dans le creuset en libérant le métal de la scorie.

L’opération à laquelle assiste Sagey en 1828 est conduite par des ouvriers originaire de Lucques (Lucca en Toscane) qui viennent travailler en Corse pendant un mois à raison d’une opération par jour, pour le compte d’un maître de forges corse qui fournit l’équipement et le charbon de bois. Ils apportent le minerai de l’île d’Elbe qu’ils vont travailler; un minerai qu’ils ont forcément choisi pour que la suite des quelques dizaines d’opérations se déroulent au mieux. Ils n’ont aucun moyen « scientifique » de contrôle et ne peuvent compter que sur leur grand savoir-faire pour les mener à bien, ajustant leur procédé d’une opération à la suivante. Après une rencontre avec Sagey, le grand métallurgiste anglais Percy conclut un chapitre sur la production du fer en Corse en s’étonnant de ce savoir-faire : « It is curious to note how in the course of experience efficient processes are gradually developed in entire ignorance of the principles upon which they are founded » (Percy II part I, 313-316).

Le développement du procédé mis en œuvre par les ouvriers Lucquois a sans nul doute demandé des années d’expériences et d’observations à des métallurgistes ignorants des principes sur lequel il est fondé. Qui étaient ces métallurgistes? Comment la mémoire d’un procédé abandonné à la Renaissance lorsque Cosme de Médicis avait fait construire par des maîtres lombards des hauts fourneaux à Piombino sur le continent en face de l’île d’Elbe a t’elle pu être conservée jusqu’à sa mise en œuvre en Corse au dix-huitième par des ouvriers Lucquois ? La question reste entière.

On peut pourtant penser que sa réponse est inscrite dans le dynamisme de la population de Lucques très active et industrieuse. A la Renaissance, on fond le bronze à Lucques pour en faire es canons (Ridella 2011, 143-155). En 1806, la petite république qui a adopté une constitution semblable à celle de la France, compte 120000 habitants dont 40000 dans la capitale. Le peuple de Lucques est le plus industrieux d’Italie. Les collines sont couvertes de vignes, d’oliviers, de noisetiers et mûriers ; les prairies nourrissent un nombreux bétail. Huile d’olive et soie sont les principales exportations (Pinkerton1806, 29). Trente ans plus tard, Lucques compte 158000 habitants : la mise en place d’un système de partage des terres disponibles a permis une augmentation de 25% de la population. L’industrie principale est la production de la soie de la laine et le travail du coton qui emploie 5 à 6000 ouvriers dans 5 grandes manufactures. On compte aussi 30 manufactures de papier et 8 manufactures de fer . Tous les hivers 2500 travailleurs vont travailler en Corse, en Toscane ou dans les Etats pontificaux. Les exportations rapportent 4 millions de francs par an dont 20% pour l’huile d’olive. Lucques exporte de la soie brute et de la laine, de la fonte, du fer en barre, du fer forgé et divers métaux. 3000 scolaires et étudiants travaillent à Lucques qui a une université, un jardin botanique et un cabinet de curiosités (Bowring 1837,66-69).

Le procédé corse de fabrication du fer à partir du minerai de l’île d’Elbe est un procédé dont la tradition a été conservée à Lucques. Nous ignorons comment cette tradition a pu être conservée pendant deux siècles. Sans doute, les forgerons lucquois ont continué après le XVIème à s’approvisionner en minerai de fer choisi de l’île d’Elbe et à fabriquer du fer selon l’antique procédé Ainsi, ce que nous avons appelé ici procédé corse se révèle être un procédé fossile, souvenir de l’antique procédé de fabrication du fer sur l’Île d’Elbe.

ET janvier 2015

E-mail : edmondtruffaut@aol.com

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