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11 septembre 2014 4 11 /09 /septembre /2014 09:35

Les producteurs de ferromanganèse au haut fourneau (Dancoisne 1977, Truffaut 1989, Truffaut 1994) sont responsables de la tradition voulant que pour réduire MnO il était nécessaire d'atteindre le niveau de température de 1410° annoncé par Ellingham; les producteurs au four électrique qui mettent en œuvre des températures bien supérieures à 1400° n'ont fait que suivre.

En fait les producteurs de ferromanganèse au haut fourneau recherchaient à la fois l'écono-mie de combustible et celle de minerai de manganèse, trois fois plus cher que celui du fer. Pour une teneur "commerciale" en Si du ferromanganèse de 0.5% environ, le manganèse se partage entre ferromanganèse et laitier, d'autant plus en faveur du premier que le second est plus basique [SiO2/(CaO+MgO) ~0.5 (Jon 1969)]. Ce niveau de basiçité conduit à une température de coulée du laitier de 1550°C environ°C et du ferromanganèse de 1450-1500°C pour un point de fusion du ferromanganèse de l'ordre de 1200°C

La température de 1410° est donc imposée par le souci d'obtenir un taux d'extraction du manganèse de son minerai le plus élevé possible. Le ferromanganèse standard produit au haut fourneau contient 6 à 7% de carbone et le manganèse s'y trouve à l'état de carbures et aujourd'hui la technique la plus utilisée pour produire le ferromanganèse à moyenne ou basse teneur carbone, quelquefois réclamé par les aciéristes, est l'affinage à l'oxygène. On retiendra de ceci qu'en présence d'un excès de carbone, la réduction du manganèse à l'état de métal pur n'est pas possible, ni au haut fourneau, ni moins encore au bas fourneau.

Historiquement, cette vérité dernière évidence ne commencera à s'imposer en France que trente ans après la découverte de la nature métallique du manganèse par les chimistes suédois. En 1786, les académiciens français Vandermonde, Berthollet et Monge proposent une théorie antiphlogistique de la fonte du fer et de l'acier et publient leur célèbre "Mémoire sur le fer considéré dans ses différents états métalliques". Dans ce mémoire, ils ne considèrent pas le manganèse "qui n'est pas leur objet" bien que celui-ci soit présent dans les mines d'acier du Siegerland et de Carinthie qui servent à fabriquer l'acier d'Allemagne alors très consommé en France. Sur une erreur d'interprétation d' Hassenfratz qu'ils chargent d'enquête en Carinthie, ils concluent que la fonte blanche lamelleuse affinée en acier d'Allemagne est une fonte de réduction incomplète qui contient encore de l'oxygène et que le fer parfaitement doux qu’on en tire par affinage en contient toujours. Cela les amène à classer fonte fer et acier (cémenté) dans l'ordre des teneurs en oxygène plutôt que par leur teneurs en carbone et à imposer en France malgré les critiques étrangères une théorie de la présence d'oygène dans la fonte qui survivra près de 40 ans. La chimie des affinités n'apparaît que dans les années 1870 et il faut attendre le début du XIXème siècle et 1803 pour trouver des indications concernant le manganèse métallique. "En ce qui concerne le manganèse : sa fabrication n’est pas facile, le culot de métal n’est pas toujours comme on le désirerait ; la grande vitrification du manganèse rend ce résultat plus difficile à obtenir... Le manganèse pur est blanchâtre ; sa cassure est grenue, irrégulière et jouit d’un éclat qu’il faut se presser d’examiner ; cet éclat est aussi passager que celui de la rose, un jour suffit pour le détruire... De cette oxydabilité si forte, il résulte que l’histoire du manganèse se réduit à celle de son oxyde" (Octave Ségur, Lettres élémentaires sur la chimie, Paris 1803).

Trente ans plus tard, Jean Baptiste Dumas est beaucoup plus précis en expliquant que le manganèse n'est connu que par son carbure: "Le manganèse combiné au carbone, car on ne le connaît qu'à l'état de carbure, possède une couleur argentine tirant vers le gris et ressemble a de la fonte blanche. Il est cassant, très dur. Sa dureté est telle qu'il raye l'acier trempé. Il absorbe l'oxygène avec une facilité singulière. Il est suceptible de décomposer l'eau à la température ordinaire. L'humidité de l'haleine suffit pour l'oxyder ; aussi quand on le touche avec des doigts humides, exhale t'il une sorte d'oxygène puant dont les doigts restent longtemps imprégnés" (Dumas, Traité de Chimie appliqué aux arts, vol.3 pp 1-2). On apprend donc très vite que l'affinité du manganèse pour l'oxygène et le carbone sont si grandes que le manganèse n'a pas d'existence à l'état métallique Il faudra attendre le milieu du siècle suivant pour que soit mise au point la fabrication par électrolyse aqueuse du manganèse pur livré sous forme de plaquettes passivées par un d'oxyde à l'instar de l'aluminium).

Une comparaison du fonctionnement d'un haut fourneau spécialisé dans la production de ferromanganèse commercial à 78% de manganèse (Libaux 1987) et celui d'un bas fourneau expèrimental consommant des minerais manganèsifères (Peter Crew & alii, 2011), apporte l'explication des comportements très différents du manganèse dans l'un et l'autre appareil haut et bas fourneau.

Comparaison des fonctionnements des haut et bas fourneau

*Comparaison des productions. Le haut fourneau produit 330 tonnes de ferromanganèse (FeMn) par jour, le bas fourneau 8.12 kg de fonte au cours d'une opération qui au total dure 5.5 heures

*Comparaison des charges (minerais, fondants et combustible). La charge en kg/tonne de FeMn du haut fourneau est composée de: 1715 kg de minerai de manganèse de Moanda 168 kg de minerai de manganèse ferrifère de Lohatla 378 kg de fondants (castine et dolomie) 1190 kg de coke métallurgique La charge en kg/opération du bas fourneau est composée de : 34,4 kg de différents bog ores 10 kg de charbon de bois

*Comparaison des comburants Dans les deux cas, il s'agit d'air ordinaire à 20.9% d'oxygène; à humidité ambiante et surchauffé à 1220°C dans le cas du haut fourneau, aux conditions ambiantes (température et humidité) dans le cas du bas fourneau.

* Comparaison des productions de métal et laitier - Le haut fourneau produit du ferromanganèse commercial à ~78% de Mn d'analyse en % masse: Mn=78.3, Fe=14, C=7, Si=0.55, P=0.15, et S=0, et du laitier à raison de 555kg/tonne de FeMn, d'analyse en % masse: SiO2=22, MnO=14.2, (CaO-MgO-BaO)=39.8, Al2O3=22.5, S=1.5 , donc d'indice basiçité SiO2 /(CaO+MgO)=0.55 -Le bas fourneau produit par opération, 8.12 kg de fonte grise et blanche , d'analyse en % masse : Mn<0.2, Fe=98-99, Si=1.9-0.5, P<0.5, S<0.5, C= n.d., Et du laitier (qui ne coule pas hors du four) à raison de 17kg par opération D'analyse en % masse (fourchettes): SiO2=37.6-68.3, Mn=0.1-20.8, (CaO+MgO)=4.7-21.1, Al2O3=10.2-13.2, S=0.02-0.08. Son indice de basicité est compris entre 2.35 et 13.9.

*Comparaisons Rendement en manganèse (partage du manganèse entre métal et laitier -Haut fourneau: 89.33% -Bas fourneau: 0.06%

Finalement au haut fourneau et comme au bas fourneau, l'oxyde de manganèse présent dans la charge a été plus ou moins réduit en carbure mixte de manganèse et fer, dans la zone réductrice de l'appareil lorsque la température dépassait 1100°C et de la fonte s'est formée.

Au bas fourneau, le soufre présent dans cette fonte a réagi avec le carbure en donnant un sulfure de manganèse à point de fusion élevé (1600°C) qui est resté dans la fonte sous forme d'inclusions. Cette réaction est bien connue des métallurgistes du manganèse (Dancoisne 1996, entretien particulier) et des aciéristes qui l'ont utilisé pour désulfurer l'acier Bessemer en fin de conversion par addition de spiegeleisen (Mushet 1883, 3). La fonte s'écoule ensuite dans le creuset de 400mm de diamètre en traversant au niveau de la tuyère soufflante une zone oxydante dans laquelle le carbure de manganèse est totalement oxydé. Le manganèse passe dans le laitier tandis que le carbure de fer reste préservé Il est possible que c'est dans cette zone à proximité de l'embrasure de la tuyère soufflante que se réduit le silicium surtout présent dans la fonte grise (Voir Crew 2011, 249 Morphologie du morceau de fonte B3 et la répartition des fontes grise et blanche) Les inclusions de sulfure de manganèse restent ainsi la seule trace de la séquence réduction - oxydation qui affecte le manganèse au bas fourneau.

Au haut fourneau (4500 mm de diamètre au creuset), la réduction du manganèse à l'état de carbure mixte de manganèse et de fer n'est pas complète: le manganèse se partage entre métal et laitier, au profit du métal d'autant que l'indice du laitier SiO2/(CaO+MgO) est plus faible et la température plus élevée. Comme cette température favorise la présence de silicium dans le métal et que celle-ci est limitée pour des raisons commerciales à 0.5%, l'indice choisi pour le réglage du laitier, de l'ordre de 0.5, limite la teneur en manganèse du laitier à 10-12%. L'économie du procédé est également liée à la consommation de coke métallurgique. Pour réduire cette consommation, l'air comburant est surchauffé, à 1200°C dans le cas présenté. C'est à la différence de température que crée cette surchauffe de l'air qu'est due la distinction majeure entre haut fourneau et bas fourneau. La combustion du coke par du vent surchauffé déclenche la formation de monoxyde de silice volatil SiO par réduction partielle de la silice contenue dans les cendres du coke lors de la combustion de ce dernier (Steiler 1985). La thermodynamique indique qu'il haut dépasser 1400°C pour que le monoxyde de silicium puisse se former et développer autour de la zone de combustion du coke une zone réductrice qui n'existe pas au bas fourneau: Au haut fourneau en allure de ferromanganèse , le monoxyde de silicium intervient pour réduire MnO encore présent dans le laitier en manganèse aussitôt dissous dans le carbure mixte de Mn-Fe déjà formé

La réduction du manganèse en carbure mixte de manganèse et de fer y intervient dans la zone de réduction du haut fourneau, donc au dessus de la zone de fusion . La fonte manga-nèsée (carbures de manganèse) produite s'écoule vers le creuset sans risque de réoxydation comme au bas fourneau alimenté en air à température ambiante.

Conclusion.

Le manganèse est réduit au bas fourneau comme au haut fourneau mais à l'état de carbure, jamais à l'état métallique. Au haut fourneau produisant du ferromanganèse standard , le carbure traverse le plan des tuyères à l'abri de l'oxydation grâce à la présence de SiO et se retrouve intact dans la fonte finale. Au bas fourneau le carbure est complètement oxydé en MnO qui passe dans le laitier et le manganèse passe entièrement dans le laitier sous forme MnO

Remarque. Lorsqu'au XIXème on produit au haut fourneau de la fonte blanche lamelleuse, de la même façon, l'oxyde de manganèse est réduit en carbure mixte de manganèse-fer dans la zone de réduction. Lorsque ce carbure traverse le plan des tuyères, la réoxydation épargne le carbure de fer et n'affecte que la quantité de carbure de manganèse nécessaire à la production d'un laitier SiO2-Al2O3-MnO fluide vers 1250°C.

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commentaires

C
Merci très beaucoup pour cet extrait de littérature. Continuez.
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